L’accident mortel du 5 novembre à Marseille, dû à l’effondrement de plusieurs immeubles lourdement dégradés, nous a rappelé que l’habitat peut être une peine quotidienne, casser la santé et même tuer. Il illustre les conséquences d’immeubles que l’on laisse se détériorer jusqu’à qu’ils tombent. Il montre la défaillance des pouvoirs publics limitant la procédure de péril à un bâtiment et sans la surveillance requise. Un arrêté de péril n’exclut pas de contrôler régulièrement et de vérifier les autres édifices pouvant être impactés, il l’exige au contraire. Malheureusement, Marseille n’est pas la seule commune où la proportion de taudis fait peur et où l’action de la Ville est défaillante.
La ville d’Ivry-sur-Seine souffre particulièrement d’un patrimoine immobilier insalubre. Beaucoup d’habitants vivent dans des logements qui dégradent leur santé et leurs liens familiaux ou sociaux. Les estimations statistiques de l’État (enquête sur le parc privé potentiellement indigne ou PPPI) placent Ivry-sur-Seine parmi les pires communes du Val-de-Marne (voire la pire). Plus grave encore, elle est l’une des seules communes où la situation s’aggrave au lieu de se résorber : 2 220 immeubles recensés indignes en 2012 ; 2 458 en 2017.
Des facteurs économiques (prix du m²) reportent au-delà du raisonnable des travaux toujours plus nécessaires. Des facteurs sociétaux (allongement de l’espérance de vie et isolement des personnes) aggravent également ce constat. Des milliers d’habitants sont concernés et cette forme cruelle de misère empire.
Or, la majorité municipale a demandé et obtenu un transfert de compétences de l’État pour gérer directement ce problème. La ville en est donc responsable. Elle l’a fait à une époque où les dotations supplémentaires pour cela étaient très généreuses. Elle détient à ce titre ses propres pouvoirs de police et la majeure partie de ceux du préfet. Elle dispose d’un service d’hygiène agréé (SCHS) qui mène les procédures d’insalubrité sous le contrôle de l’ARS.
Pour se départir de ses responsabilités, la municipalité prétend que la lutte contre l’habitat indigne est limitée par les moyens que lui donne l’État. Toujours la même rengaine ! C’est la faute de l’État ! Même quand la ville dispose de la compétence, c’est toujours sa faute. Pourtant, les actions conduites contre l’habitat dégradé sont largement financées :
- Subvention de fonctionnement pour son service d’hygiène agréé, inclue dans la dotation annuelle de fonctionnement.
- Recouvrement des frais engagés par la commune, si elle se substitue pour faire des travaux urgents (article L1331-30 du Code de la santé publique). Le Trésor public se charge de faire payer les contrevenants (propriétaires responsables) et de rembourser la municipalité, plutôt que de faire payer le contribuable. L’ensemble des frais externes (architectes, avocats, huissiers…) sont recouvrables. Les prestations réalisées en internes, objectivement chiffrées, sont remboursées également. Depuis la loi ALUR, les communes (et l’État) peuvent de plus majorer forfaitairement toutes les sommes de 8 % (article L.543-2 du Code de la construction et de l’habitation).
- Subventions de l’ANAH pour le financement des programmes de rénovation de l’habitat indigne, couvrant jusqu’à 50 % du prix (hors taxe) pour des mesures exécutées suite à un arrêté de péril (non imminent).
- Pour l’hébergement des occupants, le fond FARU rembourse 75 % des dépenses sur 6 mois. En cas de relogement, le propriétaire doit verser au bailleur social une indemnité égale à un an du loyer prévisionnel (article L521-3-2 du Code de la construction et de l’habitation), somme qui n’est pas déduite du loyer du locataire.
Ces recettes sont cumulatives. Les subventions ne sont pas déduites du recouvrement, elles s’additionnent. L’argument du coût n’est donc pas valable et le montant annuel affecté à cette mission par la municipalité, de 100 000 €, sur un budget global de fonctionnement de 140 millions et d’investissement de 30 millions, n’est lui-même pas digne.
La loi ALUR prévoit également une astreinte pour non-respect des arrêtés municipaux de péril et des arrêtés préfectoraux d’insalubrité. L’astreinte est une amende journalière (article L1331-29 du Code de la santé publique). Une partie du produit de celle-ci est versée à la Ville pour les arrêtés municipaux (arrêté de péril). L’autre va à l’ANAH, qui verse des subventions. Encore faut-il qu’elle soit demandée.
Bref, les moyens existent, financiers et juridiques, pour lutter. Ils sont complexes, lourds, mais ils existent. Encore faut-il disposer des conditions d’une mise en œuvre adéquate et efficace :
- de bonnes méthodes juridiques,
- une neutralité conforme au principe du service public,
- et surtout un volontarisme politique
De toute évidence, il manque au moins un de ces éléments à Ivry-sur-Seine. Elle préfère donc employer le mensonge pour couvrir ses défaillances que l’on sait maintenant pouvoir conduire à des accidents très graves, voire meurtriers.